NORMES DU TRAVAIL
Agences de placement

Veuillez prendre note que plusieurs changements concernant les agences de placement sont prévus dans la réforme de la LNT de juin 2018. Par contre, les modifications ne seront en vigueur que sous l'adoption d'un règlement. Au bas de l'échelle va modifier cette section lorsque ceux-ci seront en vigueur. Pour en savoir plus consulter le site de la CNESST.

Les travailleuses et travailleurs d’agence de placement temporaire, ci-après nommée agence, ne sont pas exclus de l’application de la Loi sur les normes du travail (LNT), ni d’aucune norme selon le texte de la loi. Dans les faits cependant, les normes du travail s’appliquent plus difficilement à eux.

Le principal problème vient du fait qu’il s’agit d’une relation à trois (ou relation tripartite) plutôt qu’à deux parties, comme c’est le cas dans les relations d’emploi traditionnelles où la personne salariée fournit une prestation de travail pour son employeur, qui, en retour, la rémunère.

Lorsqu’une agence joue le rôle d’intermédiaire entre la travailleuse ou le travailleur et l’entreprise, la situation est plus complexe puisqu’il y a des relations, des droits et des obligations qui lient les trois parties entre elles.

Généralement,

  1. l’agence embauche la travailleuse ou le travailleur, lui verse son salaire, et, parfois, lui offre une formation à l’emploi;

  2. l’entreprise-cliente paie l’agence pour le travail effectué par la personne embauchée par l’agence, pour le service d’embauche, et, parfois, pour la formation;

  3. la travailleuse ou le travailleur d’agence offre sa prestation de travail dans l’entreprise-cliente qui la ou le supervise, lui donne ses directives, l’évalue et met fin à son affectation à sa guise.

Dans la relation tripartite, c’est l’agence qui est habituellement considérée comme l’employeur de la personne salariée, même si cette dernière fournit sa prestation de travail pour l’entreprise-cliente. Ce n’est toutefois pas toujours le cas.

Le fait de déterminer qui est l’employeur se fait au cas par cas. Il faut adopter une approche globale et considérer plusieurs critères tels que :
la subordination juridique : qui contrôle la travailleuse ou le travailleur dans ses tâches quotidiennes? qui exerce l’autorité? qui donne les directives? qui contrôle la quantité ou la qualité du travail?;

  • les activités de gestion des ressources humaines :

  • le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches et la rémunération;

  • la durée de la mission : plus la mission est longue, plus il y a de chances que l’entreprise-cliente soit reconnue comme l’employeur. Ce sera le cas si le lien de subordination avec l’agence diminue de plus en plus et que l'entreprise-cliente devient à peu près la seule à intervenir dans la relation de travail;

  • l’intégration dans l’entreprise ou le sentiment d’appartenance : la travailleuse ou le travailleur participe-t-il aux réunions avec les autres

  • personnes employées par l’entreprise? aux formations? aux fêtes de Noël? Ce critère est toutefois plus secondaire.

En d’autres mots, on cherche à identifier la partie (l’agence ou l’entreprise-cliente) qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail afin de déterminer qui est l’employeur. Il est important de le savoir car plusieurs avantages et protections sont liés à la relation entre une personne salariée et son employeur, comme nous le verrons dans les prochaines sections.

Enfin, il faut savoir que l’agence (ou l’entreprisecliente) peut être considérée comme l’employeur aux fins de la LNT sans que ce soit également le cas en vertu d’autres lois. En effet, chaque loi a sa définition de ce qu’est une personne salariée et a une finalité qui lui est propre. L’agence pourrait donc être l’employeur en vertu d’une loi et l’entreprise-cliente pourrait l’être en vertu d’une autre.

L’exemple ci-dessous démontre bien à quel point les problèmes liés à l’identification de l’employeur des travailleuses et travailleurs d’agence peuvent soulever des questions difficiles à résoudre. Au cours des sections suivantes, nous ferons référence au cas de Samia décrit ci-dessous afin de mieux illustrer les droits et recours dont peuvent bénéficier les travailleuses et travailleurs d’agence.

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UN EXEMPLE : Samia a été embauchée par une agence il y a deux ans. Elle travaillait depuis plus de six mois pour une entreprise-cliente quand celle-ci a mis fin à sa mission subitement, sans motif valable. Deux semaines plus tôt, elle avait annoncé qu’elle était enceinte. Samia a donc appelé l’agence qui lui a alors promis de lui trouver une autre affectation dès que possible. Samia considère que son affectation a pris fin parce qu’elle est enceinte.

De quels droits et protections peut bénéficier Samia ? Peut-elle contester la fin de son affectation ? A-t-elle droit à une indemnité de préavis ? Si oui, quel devrait être le montant de cette indemnité et quand devrait-elle la recevoir ? Quels recours Samia peut-elle exercer ? Contre qui ces plaintes doivent-elles être déposées ?

Toutes les normes qui dépendent du service continu sont affectées par cette relation tripartite (voir la section 1.2, « Le service continu »). La durée du service continu détermine, par exemple, la durée des vacances et l’indemnité qui y est liée, le nombre de semaines de préavis que doit donner l’employeur qui met fin à la relation d’emploi et l’accès à la protection contre un congédiement injuste.

Une personne salariée accumule du service continu auprès de son employeur : les travailleuses et les travailleurs d’agence peuvent donc en accumuler auprès de l’agence ou auprès de l’entreprise-cliente, selon celle qui est considérée comme étant son véritable employeur. Dans l’exemple de Samia, celle-ci peut avoir droit à une ou deux semaines d’indemnité de préavis selon que l’agence ou l’entreprise-cliente est reconnue comme son employeur, puisqu’elle n’a pas accumulé le même nombre d’années de service auprès de l’agence qu’auprès de l’entreprise-cliente.

Les normes qui concernent la rupture du lien d’emploi sont aussi particulièrement difficiles à appliquer pour les travailleuses et les travailleurs d’agence (avis de cessation d’emploi, protections contre une pratique interdite ou un congédiement injuste). Comme le démontre l’exemple de Samia, les protections dont jouissent les travailleuses et travailleurs d’agence sont affectées par cette confusion autour de l’identification de l’employeur.

Puisque Samia considère que son affectation a pris fin parce qu’elle est enceinte, elle porte plainte à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) contre l’agence et contre l’entreprise-cliente pour dénoncer la pratique interdite dont elle a été victime (voir la section 11.4). La CNESST devra tenter de déterminer, en premier lieu, qui est le véritable employeur de Samia. Dans le doute, elle laissera ce soin au tribunal.

Si l’entreprise-cliente est reconnue comme l’employeur, Samia aura droit, si sa plainte contre une pratique interdite est jugée fondée, au salaire et aux avantages perdus, et à la réintégration dans son emploi si le poste existe toujours. Si la plainte n’est pas jugée fondée, l’entreprise-cliente devra au moins lui verser une indemnité de préavis d’une semaine puisqu’elle ne lui a pas donné d’avis avant de la congédier (voir la section 9.4).

Si l’agence est reconnue comme l’employeur, Samia ne pourra que veiller à ce que l’agence la replace dans une autre assignation rapidement comme elle l’a promis, et sans discrimination. Si l’agence ne la replace pas immédiatement dans un nouveau milieu de travail, elle pourrait se retrouver sans travail, et donc sans salaire, pendant plusieurs semaines en attendant une nouvelle mission.

Puisque la fin de l’affectation temporaire peut être considérée comme une mise à pied, l’agence, qui n’a pas non plus donné d‘avis à Samia, ne devra lui payer une indemnité de préavis que si elle ne la rappelle pas pendant au moins six mois (voir la section 9.4, « L’avis de cessation d’emploi ou de mise à pied »). Si c’est le cas, l’agence devra alors lui verser une indemnité de préavis de deux semaines.

Souvent, des clauses du contrat qui lie l’agence et la travailleuse ou le travailleur limitent la possibilité de se faire engager directement par une entreprise-cliente ou encore par une autre agence ou entreprise-cliente qui fait concurrence à l’agence. Prenez garde car, même si on en voit souvent, certaines de ces clauses sont abusives et parfois même illégales (voir la sous-section « Obligations de la personne salariée », dans la section 2.2 du chapitre II).

Le contrat signé entre l’agence et l’entreprise-cliente comporte, la plupart du temps, une clause qui prévoit ce qu’il en coûterait à cette dernière pour procéder à votre embauche permanente, si elle le désirait. Cette clause nuit à votre embauche par l’entreprise-cliente. Toutefois, si l’entreprise-cliente décidait de payer ces frais à l’agence, vous n’auriez plus à craindre que l’agence vous poursuive en raison de la clause de non-concurrence de votre contrat de travail.

Certaines agences font également signer une clause de remboursement des frais de formation. Ces clauses stipulent que la personne, après avoir été formée, doit travailler un nombre minimum d’heures, sans quoi elle devra rembourser les frais de formation. Ces clauses peuvent être déclarées abusives (ou illégales) dans certaines circonstances.

Voici quelques conseils qui pourraient vous éviter bien des problèmes :

1- Si vous avez le choix, évitez tout simplement de signer des contrats qui imposent des pénalités si vous ne travaillez pas un certain nombre d’heures.

2- Si vous avez besoin de l’emploi, assurez-vous que la clause de remboursement des frais de formation est accompagnée de l’obligation pour l’employeur de vous fournir un nombre minimum d’heures de travail par semaine. Cette obligation doit être écrite dans le contrat. Si l’agence vous a fait des promesses sur le nombre d’heures de travail par semaine qu’elle allait vous fournir et qu’elle ne les a pas respectées, il sera plus facile de contester la clause de remboursement des frais de formation.

3- Ne payez pas ou ne signez pas d’entente de remboursement avant d’avoir appelé Au bas de l’échelle ou consulté une avocate ou un avocat.

Pour en savoir plus sur les clauses spécifiques de contrat, voir « Clauses spécifiques de contrat », dans la sous-section 2.2 de la rubrique II - Le Code civil et le travail).

Il est plus difficile de déterminer et de gérer les conditions de travail de la travailleuse ou du travailleur d’agence à cause de la relation de travail à trois plutôt qu’à deux parties. Par exemple, c’est souvent l’entreprise-cliente qui remplit la feuille de temps et la remet à l’agence pour paiement. Or, l’ajout de cet intermédiaire risque d’entraîner davantage d’erreurs et de retards dans le paiement du salaire.

Prenez garde si l’entreprise-cliente tente de négocier certaines de vos conditions de travail, en vous demandant de faire des heures supplémentaires par exemple, alors que c’est l’agence qui est responsable de votre rémunération. L’agence pourrait refuser de vous payer les sommes dues parce qu’elle n’a pas donné son accord. Il vaut mieux l’obtenir avant pour vous protéger. De plus, l’agence n’appréciera pas que vous négociez des ententes avec
l’entreprise-cliente dans son dos…

Il faut obtenir l’autorisation de l’employeur avant de s’absenter le jour ouvrable précédant ou suivant un congé férié pour avoir droit à l’indemnité (voir « L’indemnité de congé », dans la section 4.1). Cette obligation entraîne souvent de la confusion dans le cas des travailleuses et travailleurs d’agence. En effet, à qui devez-vous demander la permission de vous absenter : à l’agence, qui verse votre salaire, ou à l’entreprise-cliente, chez qui vous effectuez le travail?

Pour éviter toute confusion, demandez d’abord l’autorisation à l’entreprise-cliente et, si elle accepte, adressez-vous ensuite à l’agence de placement.

Comme si ce n’était pas déjà assez compliqué, certaines entreprises ont recours à des agences pour contourner la Loi sur les normes du travail. Elles utilisent alors des « agences à deux têtes » ou des « agences paravent » pour réduire leurs coûts de main-d’oeuvre ou pour pouvoir congédier des travailleuses et travailleurs à leur guise, sans en subir les conséquences.

Des entreprises ont aussi recours à des agences de placement pour miner la syndicalisation dans leur établissement ou pour contourner l’application d’une convention collective en vigueur. Or, sachez que, dans certains cas, les personnes placées par une agence peuvent faire partie de l’unité d’accréditation de cet établissement et, de ce fait, se voir appliquer les conditions de travail prévues dans la convention collective au même titre que celles qui ont été embauchées directement par l’entreprise-cliente (voir le chapitre IV, « La syndicalisation »). Vérifiez si c’est le cas auprès du syndicat présent dans l’entreprise-cliente.

La CNESST tente de son mieux de contourner ces problèmes en impliquant toutes les parties (la personne salariée, l’agence et l’entreprise-cliente) dans la recherche de solutions, lorsque nécessaire.

**EXEMPLE DE L' "AGENCE À DEUX TÊTES" : Georges est employé par une agence comme camionneur et envoyé dans une compagnie de transport du Québec. Il est souvent amené à travailler de longues heures. Il reçoit deux bulletins de paie : un de l’agence qui l’a embauché et un d’une autre agence dont il n’a jamais entendu parler avant. L’agence principale lui paie ses heures régulières et l’autre lui paie ses heures supplémentaires.

En conséquence, Georges ne reçoit jamais la majoration pour les heures qui dépassent 40, comme la loi le prévoit (voir la section 3.2). Après s’être informé de ses droits, Georges décide de déposer une plainte à la CNESST. L’enquête permet de découvrir que les deux agences sont en fait un seul employeur : les deux ont la même adresse, le même bureau et le même administrateur. La CNESST obtient le paiement de sa majoration pour toutes les heures effectuées au-delà de 40 heures dans une même semaine.

**EXEMPLE DE L' "AGENCE PARAVENT" : Lin travaille comme secrétaire dans une manufacture de jouets depuis plus de cinq ans. Au moment de prendre ses vacances, elle se rend compte que l’employeur ne lui a pas accordé les trois semaines de vacances auxquelles elle a droit cet été-là. Elle en parle à son employeur qui lui dit de s’arranger avec son « véritable employeur » : celui dont le nom apparaît sur ses chèques de paie. Lin avait remarqué cette différence entre l’entreprise où elle travaille et les divers noms apparaissant sur son chèque de paie, mais n’y avait pas porté attention, pensant qu’il s’agissait de compagnies offrant des services de paie. Or, ces noms ont changé plusieurs fois depuis qu’elle travaille à cet endroit. Elle s’informe donc auprès de son supposé « véritable » employeur qui lui apprend qu’il est une agence et qu’elle ne travaille pour lui que depuis deux ans!

Insatisfaite de cette explication, elle dépose une plainte à la CNESST qui considère que l’entreprise-cliente est le véritable employeur et qu’elle aurait donc droit à ses trois semaines de vacances payées. La CNESST a donc établi sa réclamation en conséquence, quitte à devoir demander à un tribunal de trancher, si l’entreprise-cliente refuse de payer.

Malheureusement, la complexité des cas rend les enquêtes plus longues et peut décourager les personnes qui les réalisent. Le seul fait de chercher qui est ou qui sont les employeurs peut s’avérer un vrai casse-tête, comme dans le cas de Georges. De plus, le vide juridique laissé par la loi ne permet pas de trouver de solution durable à ce problème.

À la lecture de ces informations, on comprend aisément que la relation tripartite rend plus difficile l’application des normes pécuniaires, ainsi que de celles qui concernent la rupture du lien d’emploi.

Malgré cela, il est toujours possible pour les travailleuses et travailleurs d’exercer des recours pour faire respecter leurs droits. Voici quelques conseils qui pourraient vous aider :
Demandez une copie du contrat que vous signez avec l’agence.

  • Notez les nom et adresse de l’agence et de toutes les entreprises-clientes où vous avez travaillé.

  • Notez également les noms des personnes responsables de l’agence mais aussi des entreprises-clientes.

  • Demandez à l’agence le titre du poste que vous occuperez et les tâches que vous aurez à remplir, ainsi que la durée prévue de l’affecta tion. Essayez d’obtenir ces informations par écrit ou par courriel. Elles pourraient vous être fort utiles, entre autres si on met fin à votre affectation avant la date prévue.

  • Si vous déposez une plainte à la CNESST, indiquez clairement que vous travaillez pour une agence de placement. Mentionnez le nom des entreprises-clientes chez qui vous avez travaillé grâce à cette agence au cours des derniers mois. Assurez-vous également de donner des détails sur la nature de votre emploi, la durée de votre mission, votre intégration dans l’entreprise-cliente et qui, de l’entreprise-cliente ou de l’agence, contrôle et gère votre travail (voir les critères pour l’identification de l’employeur, section 7.1). Ces informations aideront la CNESST à traiter votre dossier et à déterminer qui, de l’agence ou de l’entreprisecliente, doit être considérée comme votre employeur.